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FÉMINISME : LA DANSE DE LA COLÈRE

Louise Renard

Il est instinctif de penser que la vidéo est le format qui rendra le mieux compte d’une performance, d’un spectacle, ou de quelque art vivant que ce soit. En effet, c’est ce qui traduira généralement le mieux ce que les yeux peuvent voir, de ce qui se passe sur le plateau dans son entièreté, peut-être même plus que ce que l’humain peut englober d’un regard.

Mais je n’ai pu me résoudre à un rendu « documentaire » de vidéos, car cela ne couvre pas pertinemment mon ressenti. Avec force d’effets de montage et de distorsion visuelle, je tente ici – au mieux – de rendre compte et de méditer les sensations qui m’ont traversée tout au long de ces performances. Je ne peux pas dire qu’il y ait une ligne directrice particulière dans cet écrit : je raisonnerai suivant les plans que j’aurai choisis parmi les différentes performances. Cependant, la question que je voudrais me poser à plusieurs reprises concernant les œuvres touchera principalement à la colère que j’ai éprouvée tout au long de ce festival.

 

Elastic Habitat de Helena Dietrich et Janneke Raaphorst

Expérience liminoïde étrange, Elastic Habitat m’a fait l’effet d’une reconstruction approximative de ce que l’on devrait ressentir après cinq ou six pétards à Burning Man, mais sans les psychotropes. J’ai eu le sentiment de voir de l’extérieur un groupe de personnes très investies dans leur performance et tentant – tant bien que mal – de nous y intégrer mais sans y parvenir.

La manière dont j’ai traité les images de l’introduction de ce spectacle est une tentative de traduire ce que j’aurais voulu ressentir durant cette performance : un déséquilibre, une désorientation, un trouble des sens,… bref, une expérience liminale et non liminoïde.

         

Cock, Cock… Who’s there ? de Samira Elagoz

         

Cette performance condense la majorité de la colère que j’ai ressentie à l’issue de ce festival. Et étrangement, à l’instar d’autres spectateurs, j’ai relativement bien vécu la performance en temps réel, mais c’est une fois sortie de la salle, en réfléchissant plus à plat à ce que je venais de voir, que ma colère s’est manifestée de manière grandissante. « L’exhibitionnisme d’une génération selfie » - génération dont je fais sans nul doute partie - est quelque chose que je n’avais pas envie de voir. Je crois qu’on pourrait même parler de masturbation. J’ai du mal à voir une différence d’égocentrisme et de narcissisme, entre cette performance et un homme qui sort son sexe dans le métro pour se masturber en public. Je n’ai vu dans cette performance ni l’art, ni la réflexion, ni ce qu’elle voulait nous donner à nous spectateurs, si ce n’est le spectacle de son apathie.

Le passage que j’ai choisi de montrer est celui qui représente, je pense, le mieux ce que j’ai écrit plus haut. J’ai choisi de ne pas toucher à sa temporalité pour en montrer la longueur ressentie. J’ai également laissé la musique choisie par Elagoz par-dessus la nappe sonore. Le Lascia Ch’io Pianga de Haendel est à présent, pour moi, à jamais teinté de ces images et je le regrette profondément. La saturation de l’image permanente représente la saturation que j’ai ressentie en tant que spectatrice tout au long de cette scène qui arrive, qui plus est, à la fin d’un spectacle dont le ressenti était déjà long.

         

Life is hard and then you die – part 3 de Juli Apponen

         

Contrairement à “Cock, Cock…”, la distanciation qu’opère Juli Apponen m’a touchée et a suscité chez moi une forme d’empathie, voire d’admiration. Le récit de ses diverses opérations, des difficultés administratives et médicales de son « changement de sexe » m’a sincèrement intéressée (je ne connaissais que peu de choses à ce sujet). Et la forme semble empreinte d’une pureté et d’une sincérité dans le minimalisme à la fois de la mise en place et de l’élocution de la performeure.

Cependant, j’ai choisi un moment très significatif de la représentation pour le montage vidéographique. Le moment où un homme s’effondre. Évidemment, il est possible que la chaleur, ou une faiblesse passagère, ait été la cause de cette chute mais j’ai trouvé très significatif que le sujet de l’ablation du sexe masculin précède de quelques minutes l’évanouissement de ce jeune homme qui devait avoir entre 20 et 30 ans. J’ai également choisi le noir et blanc pour l’image car il y avait dans cette performance quelque chose d’un film en noir et blanc, au rythme particulier sans pour autant être lent. La saturation colorée au moment de la chute intervient pour justement signifier cette entrée du réel et de l’actuel dans la performance qui raconte des évènements passés.

         

White Innocence de Gloria Wekker

 

Cette conférence pour moi a détonné avec le reste du festival. Cela m’a fait penser aux Yes Men et à leur invitée durant le festival SIGNAL à la Bellone. Le sujet de Zwarte Piet avait déjà été évoqué et j’ai trouvé cette conférence – malgré l’admiration que j’ai pour cette dame et l’envie que j’ai de lire son livre – quelque peu redondante.

N’étant pas une œuvre spectaculaire mais plutôt une conférence, j’ai choisi de ne pas montrer d’extrait vidéos car la qualité n’était pas suffisante pour que ce soit intéressant.

         

minor matter de Ligia Lewis

 

Ce court spectacle majoritairement dansé est le seul qui m’ait entièrement et pleinement plu. Le voyage qu’il procure au travers des différentes époques musicales, des musiques médiévales à certaines formes de techno, se marie intelligemment avec les différentes formes de danse, parfois très référencées (comme le body percussion qui fait penser aux hakkas nouveau-zélandais) et parfois très abstraites, voire sportives, certaines séquences font plus penser à de la lutte qu’à de la danse. Les voix et les textes sont placés avec pertinence, ne prenant jamais le pas sur le mouvement mais l’appuyant avec force. Tout comme l’humour qui permet au spectacle qui véhicule une grande force de respirer par moments.

Ayant sincèrement apprécié ce spectacle, j’ai décidé pour cette vidéo de faire un montage de quelques moments forts et beaux qui m’ont marqués parmi ceux que j’ai réussi à filmer correctement. J’ai gardé les musiques originales qui me plaisaient énormément et je n’ai presque pas touché à l’image car je trouve qu’elle se suffit à elle-même.

        

 21 pornographies – Mette Ingvartsen

 

Alors que le précédent m’avait tellement plu, j’étais dans les meilleures dispositions pour voir ce spectacle-ci. Cependant, très rapidement, j’ai compris que cela n’aurait rien du spectacle transgressif que j’espérais. Lire le Marquis de Sade et regarder le documentaire sur Rocco Siffredi est pour moi bien plus transgressif que ce spectacle qui ne fait qu’effleurer un sujet avec une dramaturgie datée. La nudité est inutile, l’utilisation du stroboscope abusive et l’urine sur scène est dérisoire, à la fois par manque d’originalité et par l’inefficacité du geste voulu transgressif. Là où je trouvais « Cock, Cock… » inutilement exhibitionniste, j’ai trouvé ce spectacle tiède, peu, voire pas original, et inintéressant.

Il n’y aura pas d’images dans le montage pour plusieurs raisons : parce qu’un écran noir est à peu près ce que je garde de ce spectacle, parce que dans la grande salle et vu où nous étions placés, il était quasi impossible de filmer et parce que j’ai dû fermer les yeux pendant une grande partie du moment stroboscopique car il me causait un début de migraine lancinant.

 

Pour conclure, je ne sais pas si le montage vidéographique représente bien mon ressenti à l’issue de ce festival, étant donné qu’une majorité du temps y est pris par minor matter. Je crois que le montage est indissociable du texte ci-dessus. Je finirais par dire que je n’ai pas ressenti l’élan féministe que j’espérais tirer de ce festival. J’ai vu des spectacles qui m’ont plu, qui m’ont intéressée et certains qui m’ont profondément mise en colère. J’espère être parvenue à mettre des mots sur cette colère de manière à ce qu’elle fasse sens à la personne qui lira ce texte et qu’elle ne soit pas simplement un sentiment négatif général qui manquerait de fond. La colère est un sentiment, une réaction parfois irrationnelle et j’ai tenté le plus sincèrement possible d’en faire sens dans cet écrit. J’avais certes un a priori sur l’objet « performance » en général mais j’ai pu voir que parfois, celles qui semblaient le plus loin de moi n’étaient pas celles qui m’intéressaient le moins, au contraire. La performance peut être un objet spectaculaire aussi varié qu’original, mais je crois qu’à mes yeux, il doit être dirigé vers le spectateur dans un but d’offrir quelque chose à ce dernier. Je crois que c’est ce qui a, entre autres choses, manqué dans les performances que j’ai le moins appréciées. Si en tant que spectatrice, j’ai le sentiment que mon regard n’a aucune valeur pour la personne en monstration, j’éprouve énormément de difficultés à m’investir dans ce que je vois. Je ne prends aucun plaisir au voyeurisme que j’ai pu ressentir dans certains de ces spectacles.

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